PRESS
L'OFFICIEL MAROC by Hugue Roy
LES ECOS.MA by Jihane Bougrine
portrait by Khalil Nemmaoui |
Une image qui vous a donné envie de devenir photographe ?
Kim Phuc, la jeune fille prise en photo par Nick Ut. L’enfer de la guerre du Vietnam et des bombes au Napalm. Cette photo a été prise le 8 juin 1972 dans le village de Trang Bang. L’aviation sud-vietnamienne qui lutte contre les forces communistes du Nord avec les États-Unis comme alliés se trompe de cibles et bombarde des soldats et des civils du même camp. Kim Phuc, tout juste âgée de 9 ans, échappe aux flammes in extremis mais se voit quand même brûlée, ses vêtements complètement désintégrés. Elle se met à courir au milieu de la route, terrorisée. Le photographe vietnamien était à quelques mètres. J’ai compris en regardant cette oeuvre l’impact que pouvait avoir le métier de photographe.
Le livre qui a changé votre vision de la vie ?
Oh beaucoup ! Mais j’ai envie de parler de «l’infra-ordinaire» de Georges Perec parce que son regard sur le monde est empreint d’une grande humanité, il nous pousse à nous interroger sur notre quotidien et nos usages et sur l’importance d’aller puiser en nous et non pas chez les autres pour fabriquer notre propre anthropologie. Il est question de singularité, d’altérité, de sens et d’avenir.
L’objet qui vous ressemble ?
Je ne me suis jamais posée la question, d’ailleurs je réponds à cette question en dernier, peut-être entre un sablier parce que c’est transparent, c’est mouvant et que c’est un éternel cycle qui s’inscrit dans un contexte. En gros, c’est futile et utile !
Le monument qui vous fascine ?
Les géoglyphes de Nazca au Pérou, les têtes de l’Île de Pâques, Stonehenge, Machu Picchu, les pyramides d’Égypte, les églises orthodoxes en Éthiopie… Il y en a plein !
L’œuvre connue que vous auriez aimé créer ?
Oh ! «Le jardin des délices» de Jérôme Bosch datant de 1480. Pour la puissance et la fragilité que dégage cette oeuvre.
Le premier tableau dont vous êtes tombé amoureuse ?
Je pense que la première fois que j’ai eu littéralement un coup de foudre devant une œuvre, c’était au Centre Pompidou, j’étais à l’époque étudiante en architecture et c’était devant une toile de Mark Rothko. Je me souviens d’avoir eu une sensation physique assez incroyable face à l’œuvre tout en ne m’expliquant absolument pas le pourquoi du comment ! Ce n’est que des années plus tard que j’ai compris pourquoi Rothko me touche tant.
Le photographe dont vous respectez la vision ?
Il y en a beaucoup mais si je devais expliquer les visions qui me nourrissent, je dois admettre que mon intérêt pour la photographie s’est aiguisé lorsque j’ai vu l’exposition «La subversion des images». Surréalisme, photographie et film, en 2009 au centre Pompidou à Paris. Oh mon Dieu ! Ma vision du monde a changé, il y a eu un avant et un après ! Man Ray, Dora Maar, Hans Bellmer, Antonin Artaud, Paul Éluard, Breton…Ce que je respecte finalement, c’est le fait qu’un artiste se fabrique un cadre et une vision et s’y attache quoiqu’il en soit. Avoir un propos face à notre monde et contribuer à le partager.
La ville parfaite pour son architecture ?
Je ne crois pas en la perfection, je crois en une architecture qui est un écrin singulier et généreux. Je crois en une architecture empreinte d’altérité, une architecture capable d’accompagner ses habitants dans le temps et dans leurs usages.
Le film que vous avez le plus revu ?
«La collectionneuse» de Rohmer, «Mille mois» de Faouzi Bensaïdi, «La révélation des pyramides» de Pooyard, «Matador» d’Almodovar, «6 jours et 7 nuits» de Reitman, «2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick», «Un thé au Sahara» de Bertolucci…
Le lieu qui vous apaise ?
Soit le silence soit la fête.
Le livre que vous pouvez lire et relire ?
«L’infra-ordinaire» de Georges Perec. Ce livre est la genèse de mon projet «Mobilogy questionning the usual», il s’agit d’apprendre à regarder le monde qui nous entoure et surtout d’interroger nos usages pour pouvoir créer notre propre anthropologie ! Ce livre est gratuit sur Internet, je le recommande vivement !
Le film de votre vie ?
Celui que je n’ai pas encore vu !
Le livre que vous auriez aimé écrire ?
«Ailleurs et Autrement» d’Annie Le Brun ou n’importe quel autre livre de cette incroyable femme. Je l’ai rencontrée pendant que je faisais mes études d’architecture à Paris, j’aime sa manière d’observer le monde et de toujours l’expliquer à l’aide de la poésie ! Elle est la femme qui m’a donné l’envie d’habiter poétiquement le monde !
La musique parfaite pour le confinement ?
Absolument tout. Des Chikhates au rock’n roll en passant par l’électro, la chanson française, le disco…Tout, tout, tout !
Le film courageux ?
«L’important, c’est d’aimer» de Zulawski parce qu’il traite d’amour, d’apparence, de réelle et de fiction mais surtout d’humanité.
Quand est-ce que l’architecture s’arrête pour que la photographe commence ?
L’architecture ne s’arrête pas, elle est vivante. La photographie d’architecture permet d’arrêter un moment de la progression de la vie d’une architecture à travers le média photo.
Quelle est votre nouvelle routine de confinement ?
Justement, le confinement a éradiqué toute routine ! Si par routine nous entendons l’ensemble des habitudes d’agir ou de penser, ce confinement remet en cause tout mécanisme de pensée normé ! Je n’arrête pas de penser certes mais n’ayant plus que de doutes, je n’ai plus de routine. J’ai néanmoins décidé d’accompagner ces doutes d’une énorme dose d’optimisme bien que c’est très compliqué parce que je pense que tout est à réinventer et que ce n’est pas la fin de l’humanité.
Qu’est-ce que cette crise vous a appris sur l’artiste que vous êtes ?
Cette crise m’a confirmé à quel point je peux être fragile et puissante à la fois, à quel point je peux être joyeuse et triste. Cette crise plus que jamais à renforcé mon côté «bourrin», j’ai des idéaux d’humanité que je défends et que je défendrai encore plus après cette crise quoiqu’il arrive puisque je retiens de cette crise que le linceul n’a pas de poche et que plus que jamais je vivrais en œuvrant à partager le sens et les valeurs que j’essaye de donner à mon passage sur cette terre.
Le confinement est-il favorable à la créativité ?
J’ai toujours eu des périodes de réception et des périodes d’émission, mes périodes de réception me plongent dans des introspections douloureuses où je ne communique pas beaucoup mais je pense qu’elles sont salutaires pour pouvoir émettre et créer. Le confinement est-il favorable à la création ? Favorable, je ne sais pas mais disons que la crise qu’implique ce confinement m’impose de penser le monde avec de nouvelles données, c’est certain.
Est-ce que le noir fabrique vraiment l’architecture ?
Et si le noir fabrique l’architecture ? C’est mon manifeste ! Une manière de voir et de projeter le monde, j’y crois tellement que je refuse aujourd’hui de pratiquer ma profession d’architecte parce que je suis contre les effets néfastes des politiques urbaines et architecturales en vigueur. Alors oui, je le souhaite et il m’arrive de le faire une à deux fois par an lorsque je rencontre des maîtres d’ouvrages et des entreprises qui ont les mêmes visions que ce que je défends dans ce manifeste !
Carte de visite
Zineb Andress Arraki a grandi à Casablanca avant de poursuivre ses études d’architecture à Marseille puis à Paris. À l’École spéciale d’architecture, elle rencontre son mentor et professeur Lionel Lemire qui l’initie «à l’observation des irrégularités de la peau du monde», dit-elle. Cette rencontre est le début d’un questionnement qui affinera son positionnement face au monde dans lequel elle vit. Son mémoire de fin d’études «Et si le noir fabriquait l’architecture ?» est la genèse de son approche globale. Elle y définit ses propres grilles de lecture. En 2013, elle a été finaliste du concours «Lmagana» (conception d’une horloge urbaine) pour les 100 ans du quartier Guéliz à Marrakech. En 2014, elle est nommée au Paul Huf Award au FOAM en Hollande et fait son entrée au Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain (MMVI) de Rabat. Mobilogy, questioning the usual est une expérience quotidienne. À l’aide de son téléphone portable, elle poste, chaque jour depuis 2008 des photographies – comme une histoire qu’elle raconte. Quant aux photographies traditionnelles de Zineb Andress Arraki, elles naissent des rencontres de sa vie, des situations auxquelles elle doit faire face. Elle invente ses propres règles pour partager ses ressentis, façonner son approche, déterminer sa singularité. Ses travaux allient architecture, photographie, installations, scénographie et vidéo.
Le manifeste photographique de Zineb Andress Arraki (1ère partie)
by Constance Durantou-Reilhac
Aujourd’hui, nous vous emmenons à la rencontre de Zineb Andress Arraki, et de son exposition « Casablanca CH2O » à la galerie Shart, que vous pourrez apprécier jusqu’au 9 novembre 2013. Cette artiste plurielle mérite grandement que l’on s’attarde au 12, rue El Jihani, pour apprécier son travail photographique et plastique, véritable ode à la ville de Casablanca. Cette exposition est le fruit d’un double commissariat, celui de l’association Cultures Interface et de la Galerie Shart.
Après une rencontre fortuite avec l’artiste lors de ma visite à la galerie, celle-ci, ouverte et souriante, me donne envie de rentrer dans son univers et de mener mon enquête.
Le rendez-vous est pris le samedi 19 octobre à 15 heures pour rencontrer Zineb Andress Arraki autour d’un Tchat Photo, à L’Institut Français. Ces rencontres autour de la photographie marocaine sont animées par Marie Moignard, historienne de l’art et journaliste.
Aujourd’hui, Zineb est à l’honneur, pour parler de la photographie mobile (prise à l’aide d’un téléphone portable) et de la photographie instantanée, sur le vif, dont elle est une brillante représentante.
Je suis en avance, et j’aperçois Zineb Andress Arraki, la regarde déambuler, portable à la main, toute de noir vêtu, avant de lui faire signe. Elle sourit, du haut de sa silhouette gracile, en s’avançant vers moi. On sent chez elle une bonté naturelle, et un bouillonnement permanent de l’esprit qui se traduit dans sa gestuelle. Nous prenons place dans une salle de la médiathèque et, petit à petit, celle-ci se remplit, pour qu’enfin il ne reste plus de place vacante. On sent qu’elle est heureuse, notre artiste, de découvrir que son travail suscite autant de curiosité auprès d’un public mêlant des personnes de tous les âges, presque toutes munies d’un petit bloc note pour conserver la trace de cette rencontre.
Marie Moignard débute l’entrevue par un rappel historique de la photographie instantanée au Maroc, en citant entre autre le Sultan Moulay Abd-al-Aziz, pouvant être considéré comme le premier photographe marocain, qui, au début du 20ème siècle, utilisa le procédé de la plaque stéréoscopique apportée de France par son ami Gabriel Veyre, ou encore Gabriel Soussan et Claude Sitbon, ayant photographié dans les années 60 la communauté juive de la médina de Casablanca, en passant par le grand photographe contemporain Daoud Oulad Sayed, jusqu’à l’évocation du collectif Tiitswi, né dans les années 2000, utilisant Instagram pour dévoiler leurs quotidiens.
Zineb Andress Arraki s’inscrit dans cette longue lignée de photographes appartenant au genre de l’instantané, sans pose ni fard, qui capture les instants de la vie.
Marie Moignard passe alors la parole à Zineb Andress Arraki pour qu’elle nous parle de son parcours. De l’obtention de son diplôme d’architecte à l’école spéciale d’architecture de Paris, au début de sa carrière dans le cabinet d’architecture d’Odile Decq et Benoit Cornette à Paris, jusqu’à l’éclosion de son désir photographique, en 2008, provoqué par le rythme soutenu de sa vie professionnelle, et de son besoin de s’échapper, « d’avoir quelques chose qui m’appartenait ». Sa grande maîtrise d’elle-même lorsqu’elle parle contraste avec les nœuds qu’elle forme avec son corps, montre un peu plus la personnalité complexe de l’artiste, entre force et fragilité, entre dynamisme permanent et sagesse intellectuelle.
Zineb Andress Arraki est une femme qui se nourrit littéralement de la littérature, s’en inspire, et s’y retrouve. C’est dans le recueil de Georges Perec, l’Infra-ordinaire, qu’elle nous explique avoir trouvé sa force créatrice et commencé à narrer, à l’aide de son téléphone portable, son quotidien, son habituel, le même chemin, qu’elle arpente chaque jour, mais meublé par des moments de vies et des êtres différents.
Chaque jour, sur Facebook, trois photographies sont publiées, qui racontent une histoire et s’articulent entre elles. C’est le début de l’aventure Mobilogy, suite d’albums photographique visant à « questionner les choses et les regarder pour essayer de les comprendre ».
Mobilogy , allie mobile, son outil de création et anthropology, science qui vise à l’étude de l’homme et des groupes humains. Et ce titre s’explique par la théorie de Perec, développée dans l’Infra-ordinaire : « (…) fonder enfin notre propre anthropologie: celle qui parlera de nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les autres. Non plus l’exotique, mais l’endotique.(…)Interroger ce qui semble tellement aller de soi que nous en avons oublié l’origine. (…).
Mobilogy démarre à Paris, puis rentre dans les valises de Zineb au Maroc, celle-ci poursuivant son travail dans les villes marocaines, avec un attachement particulier à Casablanca, où elle est née et où elle réside. Petit à petit, Mobilogy devient un véritable succès sur internet, les internautes se prenant au jeu de ses brèves de vie et attendent, chaque jour, la suite des aventures de notre exploratrice. Elle est ensuite repérée par les professionnels du monde de l’art et est exposée, entre autres, durant la fameuse soirée Contemporary Morrocan Roots du 11-11-11 organisée par Amine Bendriouich, au sein du prestigieux Espace culturel Louis Vuitton pour une exposition collective, intitulée Autobiographies , et est invitée à la première participation du Maroc à la biennale de photographie d’Amsterdam.
Casablanca CH2O
Mobilogy, véritable performance artistique depuis près de cinq ans, tient une place importante dans la vie de l’artiste et a aujourd’hui pris racine dans la galerie Shart, accompagné de photographies grand format prises avec son Canon G12, et deux installations. Et c’est là-bas que me conduit Zineb Andress Arraki, dans le calme annuel de la ville, désertée par ses habitants célébrant gaiment l’Aïd el Kébir, aux quatre coins du Maroc et au-delà.
Dans un café proche de la galerie, je peux enfin poser les questions qui se bousculent dans mon esprit depuis plusieurs jours. La photographie est pour elle une étude préparatoire à l’édification de quelque chose, d’une pensée, d’une réflexion. A son retour au Maroc en 2011, elle décide de créer sa propre société ZAA, qu’elle décrit comme un atelier, qui lui permet de concevoir des projets artistiques ou des commandes. Zineb Andress Arraki partage son temps entre l’architecture, la photographie, les cours qu’elle donne à la faculté d’architecture de Casablanca, et toutes les autres opportunités qui peuvent se présenter à elle.
C’est sa première exposition personnelle. Je lui demande comment elle se sent. Elle est surprise et heureuse du succès et des retours positifs de l’exposition, du rendu et de la qualité des impressions de ses photographies et de ses installations. Pour retracer la genèse de l’exposition, il faut parler de la rencontre entre Nawal Slaoui et Zineb Andress Arraki, dès son retour au Maroc. Nawal Slaoui, personnalité très reconnue du milieu de l’art contemporain marocain pour son activité dynamique et sa défense acharnée de la création contemporaine, en tant que galeriste, collectionneuse d’art, ayant contribué à la création de la fondation Actua de Attijariwafa bank, collaborant avec des artistes marocains dans diverses projets et depuis 2010, en temps que fondatrice de Cultures Interface. Avec pour vocation « la production et la diffusion de la création contemporaine du Maghreb».
C’est donc la rencontre parfaite pour Zineb, qui commence à collaborer avec Nawal Slaoui sur divers projets, dont l’exposition collective « The World is not as I see it » où Zineb partageait l’affiche avec Amina Benbouchta, Hicham Berrada, Simohammed Fettaka et Driss Ksikes. Cette exposition a été présentée à la galerie Dominique Fiat à Paris et au Musée de la fondation Abderrahman Slaoui de Casablanca.
L’envie de monter l’exposition personnelle de Zineb Andress Arraki vient de Nawal Slaoui et de son ami et collaborateur Hassan Sefrioui, directeur de la galerie Shart, haut lieu de culture Casaoui.
VH Magazine, Mars 2016, PORTFOLIO
METROPOLITAN CASABLANCA 2M TV